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Avortement et abandon de bébés : Beaucoup de filles méconnaissent les contraceptions

L’avortement et l’abandon de bébés sont des pratiques qui mettent en péril des  vies au Burkina Faso. Chaque année,  l’on enregistre, selon une étude de l’Institut supérieur des sciences  de la population (ISSP), 105 000 avortements. En six ans d’existence, l’Hôtel maternel, une pouponnière de l’Etat a accueilli   234 bébés abandonnés. Les grossesses non désirées en sont  la principale cause. Pourtant, l’utilisation des méthodes de contraception pourrait  réduire considérablement le phénomène.

 

Raketa K  porte une grossesse non désirée de 4 mois. Agée de 17 ans, cette jeune fille est originaire de la  région du Centre-Est.  Cela fait  maintenant deux ans qu’elle a déposé ses pénates à Ouagadougou où elle travaille comme fille de ménage. Un proche de la famille de sa patronne fréquentait de temps à autre  le domicile où elle travaillait.

Un jour, le monsieur l’a emmenée chez lui. « Une fois, une deuxième  puis  une troisième fois », Raketa est tombée enceinte. L’auteur présumé de la grossesse, travaille dans un hôtel de la place. Il refuse de la reconnaître. C’est le début d’un calvaire.  Raketa devait rejoindre ses parents au village. Ayant appris que leur fille est en grossesse non reconnue, sa famille lui a interdit l’accès au village sous prétexte  des coutumes.

Elle  trouve refuge à l’Hôtel maternel du ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale sise à la Patte-oie où elle est prise en charge  en attendant des tests ADN avec le présumé auteur. « C’est au centre ici que j’ai entendu dans les causeries-débats  qu’il existe  des méthodes de contraception. Je ne savais pas qu’il y avait des comprimés pour empêcher une grossesse. Je regrette de n’avoir pas connu cela auparavant.  Je suis bien suivie par les tanties du centre et mon souhait, c’est accoucher en bonne santé. Je ne pense pas que durant toute ma vie je tomberai enceinte sans le vouloir », s’exprime la jeune fille bannie par les siens.

Les grossesses non désirées auxquelles s’ajoutent les   refus de reconnaissance peuvent conduire,  dans le  pire  des cas,  à des avortements clandestins, à des abandons de bébés ou à la mort.

 Et dans ce genre de situations,  tous les moyens sont bons pour se débarrasser du fœtus ou du bébé à sa naissance.2.JPG

Usage  de bâton  pour perforer l’utérus

Selon  George Guella et Idrissa Kaboré, chercheurs à l’ISSP,  deux des auteurs de l’étude  « Grossesse non désirée et avortement provoqué au Burkina Faso »,  on dénombre plusieurs acteurs  aux pratiques différentes par rapport à l’avortement.

Très souvent, la pratique se fait en cachette  dans les formations sanitaires ou dans les domiciles de certains agents de santé. Aussi, des tradipraticiens ou  des amis s’en mêlent avec d’autres  procédés. Puis il y a la  personne, qui  elle-même   se débat  pour se tirer d’affaire. Pour les tradipraticiens et  autres amis, la « thérapie »  consiste souvent à l’usage de   décoctions et absorptions de produits à posologie douteuse.

 Des  boissons  telles que coca cola, des excitants comme le  nescafé, des bouteilles écrasées et même l’usage  de bâton  pour perforer l’utérus  sont des pratiques de certaines  femmes pour se débarrasser de leur « fardeau ». « Elles n’ont pas peur. Par exemple, elles  mettent l’eau de javel qui est corrosive  dans le vagin. Quand  vous la mettez sur votre peau, déjà  ça fait très mal ; imaginez ce que ça peut être à l’intérieur d’un vagin », a déploré M. Kaboré.

D’autres optent simplement d’abandonner le bébé dès les premiers  instants de la delivrance. C’est le cas de Balkissa T. résidente au secteur n°27 de Ouagadougou.  Les faits se sont passés en début juin 2014.  Cette jeune mère de 23 ans a été victime d’une grossesse non désirée.  Le présumé auteur lui aurait suggéré dans un premier temps l’avortement. Elle refusa. Ensuite, le monsieur a nié les faits. A terme, elle a accouché d’elle-même sans être assistée.  Le bébé avec le placenta a été jeté. Après investigation, les riverains l’ont  identifiée. Elle fut transportée au Centre de santé et de promotion sociale pour des soins. Le bébé après une prise en charge par les agents de santé  a été récupéré par l’orphelinat Home Kisito, la mère n’en voulant plus.

 « L’auteur de la grossesse a nié en bloc.  Avant de s’éclipser, il  m’a suggéré l’avortement. J’ai décidé de garder la grossesse. Mais au terme des 9 mois, je n’avais pas les moyens pour prendre en charge un nourrisson. Mon père aussi me disait de rejoindre l’auteur », a-t-elle  avancé pour justifier son acte.

 En cinq ans de d’existence, l’Hôtel maternel de Ouagadougou  a accueilli  234 bébés abandonnés.

 « Au niveau de la province du Kadiogo, chaque jour que Dieu fait, il y a toujours un abandon d’enfant à quelque part », affirme le directeur provincial  en charge de l’Action sociale, Tindaogo Kiemdé dit Gabriel. Et d’indiquer  qu’au bout d’un an de recherche de paternité  infructueuse,  le procureur est saisi pour attester. C’est ensuite que l’enfant peut être soumis en adoption.

Pour Mme Yolande Tanliré, responsable des filles en difficulté de l’Hôtel maternel, certaines de leurs pensionnaires ne connaissent autres contraceptions que le préservatif masculin. Et là si l’homme refuse de se préserver, la fille est exposée. « Par ignorance ou par manque de moyens, les filles ne fréquentent pas les centres de santé. Elles ne savent pas comment se protéger contre les grossesses non désirées. Nous organisons au sein du centre des causeries-débats sur la sexualité et la santé de la reproduction afin qu’à la sortie, les filles  puissent mieux gérer leur vie», estime Mme Tanliré. Présentement  huit filles sont à l’Hôtel maternel : trois  en grossesse, trois autres  sont des filles mères et deux  en détresse.

Faible utilisation de la contraception

L’étude susmentionnée  est parvenue à la conclusion que le faible niveau d’utilisation de la contraception est la principale raison du taux élevé des grossesses  non désirées  au Burkina. « Les besoins non satisfaits en contraception sont élevés. Ils l’ont été sur les dix dernières années. 26% des femmes mariées âgées de 15 à 49 ans ne désiraient pas d’enfants dans un futur proche ou dans l’absolu et n’utilisaient aucune méthode de contraception. Les besoins non satisfaits chez les femmes célibataires mais sexuellement actives sont encore très élevés, 38% en 2010 », a révélé l’étude.

Les jeunes femmes célibataires ont rarement accès à l’information sur la santé sexuelle et  la procréation. Au Burkina Faso, comme dans beaucoup de pays d’Afrique sub-saharienne, la plupart des jeunes femmes ne sont pas scolarisées, et celles qui débutent une activité sexuelle pré-maritale font face à une forte désapprobation sociale. Conséquence, ces femmes n’ont pas accès à une éducation sexuelle adéquate et aux services de contraception.

Une  autre étude nationale  portant sur les adolescentes (la santé sexuelle et reproductive des adolescents au Burkina Faso : Résultats d’une enquête nationale en 2004) a révélé que seulement environ une jeune femme entre 12 et 19 ans sur huit avait reçu une éducation sexuelle à l’école. Un  peu plus de la moitié de ces filles ne savaient pas où elles pouvaient se procurer des contraceptifs. « Les obstacles à l’accès à la contraception les plus importants étaient la peur et la gène. La plupart des adolescents n’avaient jamais parlé de sujets liés au sexe avec leurs parents ou leurs tuteurs ou même reçu des informations sur les méthodes contraceptives. En outre, moins d’une fille de 12 à 14 ans sur 10 avait reçu des informations sur comment survient une grossesse et sur comment la prévenir ou encore comment refuser une relation sexuelle»,  a révélé l’étude.

L’utilisation des méthodes de contraception peut éviter les grossesses non désirées, l’abandon de bébés, l’abandon scolaire et tout simplement la mort. C’est en ce sens que le point focal de Partenariat de Ouagadougou (voir encadré) agissant au titre de la société civile,  par ailleurs coordonnateur du Conseil burkinabè des organisations du développement communautaire (BURCASO), Ousmane Ouédraogo, travaille  à créer la demande de contraception auprès des femmes,  surtout chez les adolescentes. « Nous avons beaucoup de personnes ressources dont les animateurs et agents communautaires pour créer la demande de service de planification familiale »,  précise  M. Ouédraogo. Et d’ajouter qu’il intervient dans un projet où la cible  est la jeune fille mariée dont les besoins ne sont pas suffisamment pris en compte  dans le système de santé. Dans ce projet, Ousmane et son équipe travaillent pour permettre à la jeune fille mariée  de participer à la prise de décision au sein de la famille. « On a des initiatives où nous regroupons  les jeunes femmes mariées et nous les sensibilisons pour qu’elles maîtrisent au mieux les méthodes et décident par elles-mêmes quand elles veulent avoir des enfants», dit-il.

Combien de personnes font le constat dans leur quartier que chez le voisin la petite fille est tombée enceinte ou a avorté ?  Comme disait le journaliste Norbert  Zongo, le problème n’est pas  la méchanceté des hommes mauvais mais le silence des hommes bons. La question des grossesses non désirées, des avortements, (…) aux conséquences fâcheuses mérite d’être posée au plus haut niveau.

Boureima SANGA

bsanga2003@yahoo.fr



07/10/2014
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